Message clé

  • Une étude de cohorte rétrospective, menée principalement parmi des hommes résidant en MRS, montre que l’instauration d’un nouvel antihypertenseur est associée à un risque majoré de fractures, de chutes sévères et de syncope.1

  • Une analyse en sous-groupes suggère que le risque de fractures est possiblement encore plus élevé chez les personnes atteintes de démence, chez les individus avec des valeurs tensionnelles plus élevées (≥ 140/80) et chez les résidents qui ne prenaient pas de médicaments antihypertenseurs dans les semaines précédentes.

  • La prise en charge de l’hypertension artérielle chez les personnes âgées qui résident en MRS demande une approche individuelle, en tenant compte de l’état de santé et de l’espérance de vie du patient et moyennant une évaluation soignée du rapport entre le risque de chutes et de fractures et les bénéfices de l’abaissement de la tension artérielle.

En quoi cette étude est-elle importante ?

  • Les antihypertenseurs font partie des médicaments les plus utilisés dans la population âgée. Parmi leurs complications courantes, citons l’hypotension orthostatique, qui se produit surtout peu après l’instauration du traitement. Les personnes âgées qui résident en MRS font souvent face à une multimorbidité, une polymédication, une fragilité, une mobilité limitée et des problèmes cognitifs. Ces facteurs les rendent encore plus vulnérables aux chutes et, par conséquent, aux fractures.

  • Jusqu’à présent, les recherches sur le lien entre l’instauration d’antihypertenseurs et le risque de fractures se sont principalement penchées sur des personnes âgées vivant de manière autonome. Cette étude met spécifiquement l’accent sur la population fragile des personnes âgées résidant en MRS.

Protocole de l’étude

  • Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective, qui a été menée aux États-Unis selon la méthode d’émulation d’essais cibles (target trial emulation).

    L’émulation d’essais cibles est une approche utilisée dans la recherche clinique et épidémiologique, qui consiste à mimer une étude contrôlée randomisée (RCT) à l’aide de données observationnelles. Cette approche vise à surmonter les limites d’une étude observationnelle, telles que le biais de sélection et les facteurs confondants, en suivant au maximum les principes méthodologiques d’une RCT, comme la définition d’un groupe intervention et d’un groupe témoin et la minimisation des biais. Mais, contrairement à une véritable RCT, il n’y a pas de randomisation.
  • L’étude repose sur des données recueillies entre 2006 et 2019 auprès de 29 648 personnes âgées (78 ans en moyenne, 98 % d’hommes) qui résidaient dans une MRS pour vétérans.

  • L’étude a défini l’exposition comme l’instauration d’une nouvelle classe de médicaments antihypertenseurs. Les résidents chez qui un antihypertenseur était nouvellement instauré (n’ayant pas reçu le moindre antihypertenseur au cours des 4 semaines précédentes) et les résidents auxquels un nouvel antihypertenseur d’une autre classe était ajouté ont été inclus dans le groupe exposition. Les résidents qui démarraient un antihypertenseur de la même classe n’ont pas été inclus dans l’étude.

  • Le groupe témoin se composait de résidents appariés, chez qui aucun nouvel antihypertenseur n’était instauré.

  • Un appariement par score de propension (SP) a été appliqué pour l’ajustement des différences entre les deux groupes. Plus de 50 variables de base ont été prises en compte, telles que l’âge et le sexe, les valeurs tensionnelles, l’usage de médicaments et divers autres facteurs de risque de chutes et de fractures.

  • Le critère d’évaluation primaire était la survenue de fractures (hanche, bassin ou bras) dans les 30 jours suivant l’instauration d’une (nouvelle) classe de médicaments antihypertenseurs. Les autres critères d’évaluation liés aux chutes étaient les chutes sévères requérant une hospitalisation et les syncopes.

  • Des analyses ont également été réalisées pour certains sous-groupes, tels que les résidents atteints de démence, avec des seuils de valeurs tensionnelles différents (TA systolique < et ≥ 140 mm Hg, TA diastolique < et ≥ 80 mm Hg) et en présence ou non d’un traitement par antihypertenseurs au cours des 4 semaines précédant l’exposition.

Résultats en bref

  • L’incidence de fractures dans les 30 jours suivant l’instauration d’une (nouvelle) classe de médicaments antihypertenseurs (groupe exposé) était de 5,4 pour 100 personnes-années, contre 2,2 dans le groupe témoin. Cela correspond à un rapport de risque (HR) statistiquement significatif de 2,42 (IC à 95 % de 1,43 à 4,08).

  • Le risque de chutes sévères requérant une hospitalisation ou une présentation aux urgences (HR = 1,80) et de syncope (HR = 1,69) était également statistiquement plus élevé dans le groupe exposition que dans le groupe témoin.

  • Les analyses en sous-groupes ont identifié un HR plus élevé de fractures chez les résidents atteints de démence, en cas de tension artérielle systolique ≥ 140 mm Hg, en cas de tension artérielle diastolique ≥ 80 mm Hg et chez les résidents qui ne prenaient pas d’antihypertenseur dans les 4 semaines précédant la date de l’exposition. Les différences entre les sous-groupes (avec ou sans démence ; TA ≥ 140/80 ou < 140/80 ; avec ou sans antihypertenseur les semaines précédant l’exposition) n’étant pas statistiquement significatives, il se peut que ces résultats soient fortuits.

Limites de l’étude

  • La population de l’étude se compose presque exclusivement de vétérans de sexe masculin. Cela limite la généralisabilité des résultats à d’autres populations, surtout du fait que l’incidence de certaines fractures, comme les fractures de hanche, diffère entre les hommes et les femmes. Les femmes sont, par exemple, exposées à un risque plus élevé de fractures de hanche, ce qui soulève l’hypothèse d’un rapport de risque (HR) potentiellement encore plus élevé dans une étude qui porterait spécifiquement sur des femmes.

  • L’étude était dotée d’une puissance insuffisante pour évaluer si le risque de fractures diffère selon le type d’antihypertenseur. Elle n’a pas davantage analysé l’impact d’une augmentation de la dose sur le risque fracturaire.

  • Il s’agit d’une étude rétrospective, menée sur la base de données qui n’ont pas été recueillies spécifiquement dans l’optique de la question de recherche. Par ailleurs, les données de prescription ne reflètent pas toujours l’usage réel des médicaments.

Commentaire du CBIP

  • L’étude a constaté un risque de fractures plus que doublé chez les résidents de maisons de repos et de soins démarrant un (nouvel) antihypertenseur. Ce risque est possiblement encore plus élevé chez les personnes qui affichent des valeurs tensionnelles supérieures et chez les personnes atteintes de démence : les investigateurs l’expliquent comme suit.

    • Le lien possible (et à première vue contradictoire) entre un risque accru de fractures et une tension artérielle systolique et diastolique augmentée peut s’expliquer par deux facteurs. Premièrement, les recherches antérieures indiquent que l’hypotension orthostatique est plus fréquente chez les personnes qui ont une tension artérielle élevée. Deuxièmement, d’autres facteurs interviennent dans la moins bonne capacité d’adaptation de l’organisme aux changements de position chez les patients hypertendus, comme une résistance augmentée dans les vaisseaux sanguins ou des perturbations dans le système nerveux autonome.

    • Les patients atteints de démence présentent un risque majoré de chutes et de fractures suite à une combinaison de facteurs, tels que troubles cognitifs, troubles de la marche et prise d’autres médicaments qui augmentent le risque de chutes (des benzodiazépines, par exemple). Dans cette population, ce risque peut encore être aggravé pendant la phase d’instauration d’antihypertenseurs, car les patients atteints de démence sont moins aptes à signaler des symptômes tels que les étourdissements, qui sont corrélés à l’hypotension orthostatique et aux chutes.

  • Les investigateurs indiquent que l’utilité du traitement de l’hypertension chez les personnes âgées résidant en MRS doit faire l’objet d’une évaluation individuelle, tenant compte de leur état de santé et de leur espérance de vie et moyennant une évaluation soigneuse du rapport entre les risques de chutes et de fractures et le bénéfice cardiovasculaire. La prudence et une surveillance supplémentaire sont de mise au moment d’instaurer un médicament antihypertenseur dans cette population fragile.1 Certaines fractures, comme les fractures de hanche, peuvent donner lieu à de graves complications, à des hospitalisations, à une longue revalidation et à une mortalité accrue chez les seniors.3 L’impact financier des fractures sur le système de santé peut être considérable, surtout dans une population vieillissante.3

  • Notre revue sœur Minerva2 a récemment analysé une étude de cohorte prospective qui conforte les résultats de l’étude qui fait l’objet du présent article. Minerva conclut ce qui suit au sujet de l’étude en question : « Cette étude de cohorte prospective, qui a été menée correctement d’un point de vue méthodologique, montre une augmentation significative des cas d’insuffisance rénale aiguë et de chutes au cours des 30 premiers jours suivant le début de la prise d’antihypertenseurs chez les personnes âgées de plus de 65 ans nécessitant des soins importants. En outre, les résultats montrent également, au cours de la même période, une augmentation significative du taux de fractures après les chutes chez les personnes âgées fragiles. »

  • Le guide de pratique clinique (GPC) belge « Hypertension » 4 recommande la prudence en matière de médicaments antihypertenseurs chez les personnes âgées. Les avantages du traitement doivent être comparés aux risques potentiels, tels que les chutes. Le GPC souligne aussi que certains médicaments, comme les diurétiques et les bêtabloquants, peuvent provoquer une hypotension orthostatique.

  • Le GPC belge « La prévention des chutes chez les personnes âgées résidant à domicile » 3 insiste sur l’importance de la gestion de la médication en tant que stratégie visant à réduire les risques de chutes. Il formule certains conseils pour atténuer ou éviter l’hypotension orthostatique (p. ex. prendre son temps avant de passer de la station couchée ou de la position assise à la position debout).

  • L’e-learning « Médicaments et risque de chute » du CBIP forme à la reconnaissance des médicaments (antihypertenseurs, entre autres) et des effets indésirables (hypotension orthostatique, entre autres) qui peuvent mener à une chute. Voir aussi le résumé dans notre boîte à outils.

Sources

Dave CV, Li Y, Steinman MA, et al. Antihypertensive Medication and Fracture Risk in Older Veterans Health Administration Nursing Home Residents. JAMA Intern Med. 2024;184(6):661–669. doi: 10.1001/jamainternmed.2024.0507.
Minerva (P. De Cort). Doit-on s’attendre à un plus grand nombre d’effets indésirables après l’instauration de médicaments antihypertenseurs chez des personnes âgées nécessitant des soins complexes ? Minerva 2024;23(6) 131-4. Via site web Minerva [Discussion de : Jodicke AM, Tan EH, Robinson DE, et al. Risk of adverse events following the initiation of antihypertensives in older people with complex health needs: a self-controlled case series in the UK. Age Aging 2023;52:afad177. doi: 10.1093/ageing/afad177]
3 Milisen K, Leysen G et al. (Expertisecentrum Val- en fractuurpreventie Vlaanderen), publié par WOREL. La prévention des chutes chez les personnes âgées résidant à domicile. Via ebpracticenet : https://ebpnet.be/fr/ebsources/1240 (Mis à jour par le producteur : 08/09/2017).
4 SSMG/Domus Medica. Hypertension. Via ebpracticenet : https://ebpnet.be/fr/ebsources/447 (Mis à jour par le producteur : 17/09/2009).